Le Pont à Transbordeur de Marseille

Chapitre I -NAISSANCE D’UN PROJET

Tout au long du XIXe siècle, la traversée du Vieux Port ne pouvait se faire qu’avec l’aide de passeurs qui, pour quelques sous, amenaient les passagers d’une rive à l’autre à la rame sur de petites embarcations. Le Vieux Port étant totalement saturé, il fallait alors se faufiler entre les nombreuses tartanes de pêcheurs, balancelles, bricks-goélettes et pointus des plaisanciers amarrés dans un désordre inextricable. Puis en 1880 apparut le très populaire « ferry-boat » qui se présenta comme un concurrent sérieux des petits passeurs. Enfin, avec la construction des nouvelles installations maritimes de la Joliette, en particulier des docks et de ses annexes, le trafic dans le Vieux Port bascula progressivement vers la Joliette où les grands navires à voile, puis mixtes et à vapeur prirent peu à peu leurs attaches, laissant progressivement place à la plaisance.

Mais à la fin du XIXe siècle, le quartier du Vieux Port qui était très actif avec ses entrepôts, ateliers, fabriques, huileries, savonneries etc... connaissait en permanence de nombreux encombrements. La circulation hippomobile y devenait de plus en plus difficile, voire impraticables certains jours; le charroi était très dense, il fallait souvent plus d’une heure pour aller d’un fort à l’autre.

Cette situation, bien connue de l’ingénieur Ferdinand ARNODIN, l’incita à travailler sur un avant- projet de création d’un pont à transbordeur ayant pour but, tout en laissant complètement libre la navigation à l’entrée du Vieux Port, d’établir un moyen de communication sûr et rapide d’un quai à l’autre. Il proposa officiellement le projet à M. BATARD-RAZELIERE ingénieur des Ponts et Chaussées Maritimes de Marseille le 10 octobre 1894. « A n’en pas douter, cette communication rendrait les plus grands services et permettrait de faire des économies en temps et en moyens ». Et il présentait son projet au Maire de Marseille en ces termes : « J’ai un projet magnifique pour votre ville, mais soyez sans inquiétude, l’addition sera pour moi.» En effet, Ferdinand ARNODIN proposait de prendre à sa charge la totalité du coût de construction du pont à condition de pouvoir l’exploiter durant 75 ans à travers un contrat de concession. Comme une plaque tournante, il était destiné à éviter le contournement du plan d’eau pour se rendre des secteurs de la Joliette et d’Arenc vers les usines et négoces des quartiers d’Endoume et des Catalans et inversement.

Selon les mesures effectuées, ce raccourci permettrait d’économiser en distance plus de 2 kilomètres car le plan d’eau fait 890 mètres de long multipliés par deux et 290 mètres de large = 2.070 mètres linéaires.

Ainsi l’utilisation du pont à transbordeur permettait un gain de temps appréciable car d’une part la traversée sur la nacelle pouvait se faire entre 1 minute 30 par temps calme et 2 minutes 30 par grand vent, et que d’autre part, elle permettait d’éviter les nombreux « bouchons » qui bloquaient déjà le quai du Port côté Mairie, les débouchés de la rue Impériale (de la République aujourd'hui) et de la rue Cannebiere sur le quai de la Fraternité (actuel quai des Belges), sans oublier ceux du quai de Rive Neuve qui à l’époque était coupé en deux endroits par le canal de la douane (comblé entre 1925 et 1928) situé sur l’emplacement de l’actuel cours d’Estienne d’Orves.

On imagine aisément l’importance du charroi et des embouteillages si l’on se rappelle qu’à l’époque, c’est sur le Vieux Port qu’un grand nombre des navires marchands venaient décharger leurs cargaisons qui étaient ensuite acheminées par des charrettes et véhicules hippomobiles vers les ateliers, entrepôts, fabriques et commerces de la ville.

Cinq ans après le dépôt du premier dossier, le projet ayant évolué, Ferdinand ARNODIN, fort d’une meilleure expérience et d’une meilleure réputation, demandait officiellement le 27 juin 1899 au Ministre des Travaux Publics, « l’autorisation d’établir comme concessionnaire, au-dessus du Port Vieux à proximité de l'embouchure, un pont à transbordeur de son système, et ce à ses frais, risques et périls sans subventions ni garanties d’intérêts ».

Le projet recevant un avis favorable fut transmis aussitôt à la Municipalité, à la Chambre de Commerce et aux Ponts et Chaussées de la ville. Au moment ou les difficultés de circulations devenaient préoccupantes, les pouvoirs publics lui ont réservé un accueil particulièrement favorable. De plus, dans la mesure où le promoteur de projet proposait de prendre à sa charge la totalité du coût de construction du pont à condition de pouvoir le gérer à ses risques durant 75 ans sous forme de concession, la municipalité trouva dans cette proposition une véritable opportunité lui permettant de résoudre les problèmes de circulation sans débourser aucune somme d’argent.

Cinq mois après, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, après avoir été particulièrement exigeant quant aux conditions de sécurité de l’ouvrage, proposait de déclarer le projet d’utilité publique. Dès lors le projet était « sur les rails » et le 10 avril 1900 le Ministre des Travaux Publics prenait en considération la demande. Ce fut le début d’une longue période de 4 années de réunions, discussions, délibérations, productions et modifications de plans, présentations d’études de résistance des matériaux et rédaction du cahier des charges.

Le 25 juillet 1900 une commission d’enquête nautique locale était créée dans le but d’examiner l’avant projet et d’apporter des observations. Cette commission était composée de deux prud'hommes pêcheurs, deux pilotes du port, un patron de société de remorquage (Sté Provençale de Remorquage) et deux capitaines (un de la SGTM et un de la Cie Fraissinet). Après avoir écouté les partisans du pont pour lesquels sa nécessité était évidente, et les défenseurs de l’esthétique du port qui ne voulaient pas gâter son élégante perspective, cette commission émettait le 4 septembre suivant un avis favorable sur l’avant projet.

Dans le même temps, l’enquête d’utilité publique était ouverte auprès de la population qui a accueilli favorablement le projet. Il fut ensuite accepté en délibération par la Chambre de Commerce. Puis au cours de réunions ultérieures, la commission tout en mettant en évidence l’économie de temps et de distance pour aller d’un point à un autre, entendait les opposants. En effet, la « Sté provençale de Transports Maritimes » et la « Sté Générale des Embarcations de Servitudes » exploitant elles-mêmes sur le plan d’eau un service de bateaux mouches, n’appréciaient pas l’arrivée de ce nouveau concurrent. En outre la commission avait été frappée par les tarifs prévisionnels jugés trop élevés pour le transport des charrettes attelées de plusieurs chevaux.

Le 18 décembre 1900 à la suite d’une délibération du Conseil Municipal, le Maire Siméon FLAISSIERE donnait un avis favorable à la construction d’un pont à transbordeur sous réserve qu’il ne défigure pas le panorama. La délibération imposait en outre quelques modifications d’implantations et de tarifs pour les voyageurs sans bagages, la suppression des classes, et la révision du tarif voitures et tramways (tirés par les chevaux) quel que soit leur poids.

Le 27 avril 1901 la grille des tarifs était établie.

Le 3 août 1901 : rédaction du cahier des charges définitif s’inspirant de la concession Nantaise. Il contenait de nombreux détails.

Enfin le 8 Mars 1902, sur le rapport du Ministre des Travaux Publics, Emile LOUBET, Président de la République Française signe le décret d’utilité publique du pont à transbordeur de Marseille. Il sera publié au Journal Officiel le 12 Mars suivant. « Est déclaré d’utilité publique l’établissement d’un pont à transbordeur à Marseille. L’établissement et l’exploitation sont concédés à Ferdinand ARNODIN. Il pourra se substituer pour l’exercice de tous ses droits et obligations, une société Anonyme »

L’acte de naissance du pont à transbordeur de Marseille était alors signé.

Durant l’année 1903 de nombreux aspects et détails techniques furent encore négociés avec les ingénieurs des Ponts et Chaussées, en particulier les plans de détails de montage et études plus fines sur la résistance des matériaux. En outre, un cautionnement de 25.000 francs, restituable une fois l’ouvrage achevé, fut déposé à la Caisse des Dépôts et Consignations par Ferdinand ARNODIN.

Enfin en décembre 1903, soit après 9 ans de démarches, études et négociations, les premiers travaux de fondation des pieux d’amarrage destinés à porter la structure du pont débutaient.

Cachet et vignette souvenirs qui étaient apposés sur les cartes postales achetées dans la boutique située sur le tablier, avec mention de la date du passage.