Le Pont à Transbordeur de Marseille

INTRODUCTION

Il y a 100 ans, le 24 décembre 1905 Marseille inaugurait son pont à transbordeur dont la construction avait démarré en décembre 1903 en pleine période d’intense modernisation de la ville.

Durant toute la première moitié du XXe siècle, cet ouvrage d’art métallique a été associé à l’image du Vieux Port. Il reste dans la mémoire de nombreux Marseillais comme l’emblème d’une époque.

Sa mise en service avait été un événement exceptionnel tant sur le plan local que national, la presse dans sa grande majorité s’en était fait l’écho. C’était un véritable cadeau de Noël des temps modernes fait à l’ensemble des Marseillais qui étaient très fiers du basculement de leur ville dans la modernité du début du XXe siècle.

Dressé à l’entrée de la passe du Vieux Port, ce colossal ouvrage, chef d’œuvre de l’art du fer, construit à l’image de la tour Eiffel, de la galerie des machines de l’Exposition Universelle de 1900 et des autres grands ouvrages métalliques de la fin du XIXe siècle, assurait sans nuire à la navigation, par sa nacelle mobile, le passage d’une rive à l’autre entre les quartiers Saint Jean et Saint Nicolas. Il avait une double vocation d’ouvrage utilitaire et de monument touristique.

L’idée de sa construction avait été mise en évidence par Ferdinand ARNODIN, génial ingénieur spécialisé dans la construction de ponts à transbordeurs, à qui le fabuleux site du Vieux Port n’avait pas échappé pour y édifier un tel ouvrage. Fort de son expérience, puisqu’il en avait déjà construit quatre, à Bizerte, Rouen, Rochefort et Nantes, il avait su trouver les arguments et convaincre les autorités marseillaises pour l’édification de ce transbordeur.

Les Marseillais qui manifestaient beaucoup d’intérêt pour ce pont avaient pu suivre durant 19 mois les différentes étapes de sa construction. Le projet leur avait été présenté en novembre 1900 par la presse. Ils connaissaient donc déjà la silhouette de cet ouvrage qui durant 40 ans dominera le site du Vieux Port, avant qu’il ne soit détruit par les troupes d’occupation en août 1944.

A l’époque, la construction du pont à transbordeur alimentait les conversations. Bon nombre de Marseillais se demandaient si ce pont n’allait pas défigurer le Lacydon et gâcher la splendide vue que l’on avait sur l’entrée et la sortie du Vieux Port. Ne serait-il pas un monument trop moderne qui constituerait une nuisance visuelle ? Comment réagiraient les phocéens fondateurs de la ville au VIe siècle avant Jésus-Christ s’ils voyaient leur ancienne calanque défigurée? Ce modernisme n’était-il pas excessif ?

Mais peu à peu, les grands ouvrages métalliques tant en France qu’à l’étranger prouvèrent leur utilité et surent, malgré les réticences et oppositions, prendre leur place dans le paysage et se faire adopter par le public.

Rapidement, le pont à transbordeur de Marseille s’intégra et fit partie du décor. Il devint un monument symbole de la ville au même titre que notre Dame de la Garde dont la statue dorée de la Vierge fut posée en 1870, et le palais du Pharo construit par Napoléon III entre 1858 et 1860.

Il était également considéré comme le phare de la ville, visible du large, « Porte de France » pour les marins et voyageurs arrivant par la mer.

La majeure partie des Marseillais considéraient qu’il était leur tour Eiffel, d’autres, moins nombreux le considéraient comme un véritable gâchis, une horreur métallique, une grande ferraille ... On vit même certains peintres qui, sur leurs toiles du Vieux Port, oubliaient de représenter le pont...

Pendant 40 ans, le pont à transbordeur va attirer toute une population hétérogène: amoureux de la ville, amateurs d’art, peintres, dessinateurs, poètes, sportifs, plongeurs « trompe-la-mort », parachutistes, funambules, photographes, cinéastes, amateurs de sensations fortes les jours de mistral, farceurs etc... Sans oublier hélas les candidats au suicide. Il était surtout le lieu de promenade favori des citadins et des touristes qui après avoir fait l’ascension courageuse des 250 marches, pouvaient admirer du haut le superbe panorama sur la ville, les ports et le large et prendre un véritable « bol d’air pur » à 50 mètres de haut. Enfin, n’oublions pas sa vocation principale : assurer le transbordement des voitures, camions, piétons d’une rive à l’autre. Ce monument faisait tellement partie du décor que lorsqu’il fut détruit les Marseillais se sentirent privés de leur bien et le regrettèrent.

Mais ainsi va la vie, comme pour les humains, les biens ont aussi une fin... on peut considérer que le pont à transbordeur de Marseille fut une étape dans le plan d’aménagement de la circulation de la ville : il se substitua aux embarcations des passeurs, puis sous l’effet de l’évolution moderne des transports, fut remplacé par le tunnel sous le Vieux Port en 1967. Cependant, seul le « ferry-boat » assurant la navette entre la Mairie et le quai aux Huiles fait figure d’exception puisque depuis 1880 il poursuit fidèlement ses traversées pittoresques et folkloriques pour les piétons. Je n’ai pas connu le pont à transbordeur de Marseille puisque je suis né quelques jours avant sa destruction, mais mes racines locales et ma passion pour cette ville si attachante font que j’ai l’impression de toujours l’avoir connu. Cette fascination qui est partagée par bon nombre de Marseillais qu’ils aient ou non connu le transbordeur, trouve sans doute ses origines dans la singularité de cette ville si belle, si vivante, si attachante et dont le passé est si riche.

En ce centième anniversaire de sa mise en service, le pont à transbordeur de Marseille devait être honoré. C’est ce que j’ai tenté de faire dans le présent recueil qui retrace la vie de ce géant dont l’harmonieuse structure de fer et de filins a occupé l’entrée du Vieux Port en assurant à la fois le transbordement, l’image et la fierté de notre ville.

Qu’il en soit remercié.

Gilles REYNAUD

Plan de Marseille mentionnant l’emplacement du pont à transbordeur - 1914 -