Le Pont à Transbordeur de Marseille

Chapitre V - ANECDOTES -

Comme tout monument, le pont à transbordeur de Marseille connut au cours de ses 40 ans d’activités différentes aventures, exploits, événements heureux, tristes, cocasses, amusants, et originaux... Que son constructeur n’avait sûrement pas prévus. En voici quelques-uns :

Panne électrique - 8 juin 1907 - Au cours de la traversée de 9h30 du Sud vers le Nord, le fonctionnement de la nacelle a été interrompu durant 1 heure à la suite de la rupture d’un câble électrique. Elle s’est produite vers le milieu de la traversée et a nécessité l’évacuation des passagers par une embarcation de service du pont à transbordeur. Conformément à l’article 3 de l’arrêté du 22 décembre 1905 un pavillon rouge a été arboré sur la nacelle tout le temps de son immobilisation.

Cheval à la mer - 17 octobre 1907 - En fin de journée dans la nacelle partant de la rive Nord à la rive Sud, se trouvait une charrette vide attelée d’un cheval et ayant un autre cheval attaché derrière. Au départ de la nacelle, le cheval de derrière se mit à reculer et à lancer des coups de pieds. Dans une ruade, il cassa la chaîne de protection et tomba dans le filet de sécurité la tête dans l’eau. Malgré les secours apportés aussitôt par le personnel, le cheval se noya. A la suite de cet accident, le calage des roues des voitures attelées a été imposé.

Premier plongeon - 28 juin 1908 - Le plongeur Noé  G. qui avait déjà effectué plusieurs plongeons périlleux d’une hauteur de 40 mètres aux Etats Unis, plonge depuis le tablier du pont de 51 mètres au-dessus de l’eau. L’événement annoncé par la presse avait attiré une foule considérable de 25.000 personnes. Dans une énorme gerbe d’eau, il fit un « plat ventre » retentissant, et fut grièvement blessé. Par miracle il s’en sortit.

Noe Greb

Collection Jean-Claude BOUZE

Canular... - Nouveau plongeon prévu le 5 juillet 1908 - Noé G. avait sans le vouloir réussi à faire des émules. Quelques jours seulement après son plongeon, trois jeunes Marseillais se présentant comme des « plongeurs pêcheurs de moules » annonçaient par voie de presse qu’il plongeraient eux aussi du haut du tablier le dimanche suivant. Heureusement pour eux, ils ne se sont pas présentés le jour prévu... Mais cette affaire interpella la direction du pont qui déclara ne pouvoir s’opposer à ce genre de tentative en précisant que quiconque pouvait sauter à condition d’avoir payé son droit d’entrée... De son côté le Commissaire de Police déclarait qu’il ne pouvait que dresser procès verbal pour baignade interdite dans le Vieux Port...

Attention peinture fraîche - 14 septembre 1910 - Le gérant du pont écrivait au président de la société Nautique du Bas Fort Saint Nicolas, dont les pannes sur lesquelles étaient amarrés des bateaux de plaisance étaient dominées par le pont, pour le prévenir que des travaux de peinture des câbles risquaient de tacher les embarcations de la société nautique...

Premier saut en parachute - 1910 - Mme X. effectue le premier saut en parachute du haut du pont transbordeur.

Tentative de suicide « prudente » - 6 juillet 1911 - En raison d’un chagrin d’amour, un jeune touriste allemand avait choisi le pont transbordeur pour se supprimer. Mais n’ayant pas eu le courage de se jeter dans le vide du haut du tablier, il préféra « assurer » en se jetant à la mer de la nacelle... Il fit donc une chute de 2,20 mètres dans les flots, et fut aussitôt repêché et réconforté.

Aéroplane sous le pont - 20 octobre 1911 - Durant la « semaine de l’aviation » organisée à Marseille pour les victimes de l’explosion du cuirassé « Liberté », l’aviateur Jules VEDRINES, célèbre pour son audace, passa sous le tablier du pont avec son appareil « Deperdussin » sous les regards stupéfaits et admiratifs du public. Il devait renouveler son exploit le lendemain.

Jules Védrines Jules Védrines en Vol

Jules Vedrines

Débuts de la TSF - 29 mars 1913 - Installation d’un poste émetteur TSF de 5KWA sur le pont.

Tentative de meurtre sur la nacelle - 21 mai 1913 - A l’heure du déjeuner, sur la nacelle accostant au quai Saint Nicolas, le nommé François S. agressa verbalement l’employé de service Henry C. et encouragé par ses amis qui lui criaient « tues-le et jettes-le à la mer » le frappa à coup de poings et de pieds. L’employé fut rapidement secouru par ses collègues de travail et porta plainte. Il s’avéra que l’agresseur, qui avait déjà attaqué un autre employé 2 ans auparavant était mécontent car la nacelle précédente ne l’avait pas attendu... Finalement, se rendant compte de la gravité de son acte, François S. a monnayé avec sa victime le retrait de la plainte.

Coup de trompette - 7 juillet 1913 - Lors de la traversée, un passager nommé Joseph R. ayant jeté une bouteille vide à la mer s’est fait sermonner par l’employé qui a été reçu par des insultes... En arrivant au quai, le nommé Joseph R. lui a donné un coup de poing et l’employé a riposté en lui portant au visage un violent coup de trompette (qui servait alors a annoncer les embarquements et débarquements). Ensanglanté, l’agresseur revenait peu de temps après avec 3 individus qui sont tombés sur l’employé Henry C. à grands coups de poing. Deux soldats et le wattman étant venus à son secours, les agresseurs sont vite repartis en montant la rampe Saint Maurice...

Accident mortel - 11 mai 1914 - En fin de journée, sur la nacelle allant de Saint Jean à Saint Nicolas, voulant sans doute débarquer plus rapidement, un passager a traversé sur le cadre roulant de la nacelle et n’a pas vu une cordelle et une poulie en mouvement qui l’ont coincé et décapité sur le coup...

Expérience scientifique - 18 mai 1914 - Le Docteur T. Directeur des services sanitaires demande l’autorisation de placer des fils d’antenne pour récepteur de TSF sur le haut du pont transbordeur en vue d’études scientifiques exclusivement personnelles.

Publicité - 5 août 1914 -  Il est envisagé d’apposer sur chaque côté de la nacelle derrière les barres destinées au public, contre la balustrade, un panneau portant l’inscription « Chocolat Meunier » Ce projet n’aboutira pas.

Protection en cas de guerre - 11 août 1914 - Le gérant du pont suggère à l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, de faire garder le pont à transbordeur en cette période de guerre, précisant qu’un attentat est toujours possible. Le Pont n’a jamais été victime d’un attentat.

Amarrages sauvages - 11 septembre 1914 - Le gérant du pont signale à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées que des plaisanciers viennent amarrer leurs embarcations au pied des pylônes côté Saint Jean, sur le paratonnerre du pont... Et signale qu’une catastrophe pourrait bien se produire un jour d’orage...

Resquilleurs - 3 juin 1916 - Une bande de désœuvrés se présenta à la nacelle pour faire la traversée et profita de la cohue pour oublier de payer quelques passages... L’employé de la nacelle A. s’en étant rendu compte les a obligés à payer leur place. Ils se sont exécutés, mais en arrivant côté Saint Jean ils l’ont roué de coups de pieds et de poings. Celui-ci s’est retrouvé à l’hôpital et eut plusieurs jours d’arrêt de travail.

Menaces de mort - 28 septembre 1917 - L’employé de service qui demandait à des soldats leur ticket de passage, se vit remettre pour paiement un revolver sous le nez... Avec menace de se faire tuer s’il insistait... Le lendemain, les mêmes soldats, vers la même heure, en firent autant... Cet événement obligea le gérant du pont à adresser un courrier à l’ingénieur des Ponts et Chaussées pour lui demander d’intervenir auprès des autorités militaires, afin de « pouvoir assurer le service sans avoir la menace de se faire tuer ».

Collision - 8 mai 1918 - Collision de la nacelle avec une embarcation : aucune avarie ni aucun blessé.

Charrette à la mer - 19 septembre 1918 - Une charrette conduite par des jeunes gens sans expérience, qui avaient omis de serrer les freins et de caler les roues, est tombée à la mer... En effet, à l’arrivée au fort Saint Jean, l’attelage composé de 2 chevaux, a reculé, provocant la rupture de la chaîne de retenue arrière et a basculé à la mer. Les chevaux ont été sauvés et la charrette a été repêchée le lendemain.

Collision - 2 octobre 1918 - Collision sans gravité avec un bateau de la Compagnie Côtière alors que la nacelle s’était arrêtée pour le laisser passer...

Incendie de la machinerie - 17 avril 1920 - Dans la nuit du 16 au 17 avril, par vent fort, un court circuit a provoqué un incendie qui a été maîtrisé seulement 4 heures après son début. La salle des machines située sur l’extrémité de la partie sud du tablier a été totalement détruite. La durée des travaux de remise en état était estimée entre 2 et 4 mois. Finalement, ce sont 2 moteurs électriques de tramways qui furent installés en remplacement.

Pétition contre les nuisances du pont - 22 mai 1922 - Sur l’initiative d’un usager habitué du pont M. R. une pétition fut remise au Préfet attirant son attention sur les dysfonctionnements du pont portant un réel préjudice à ses utilisateurs : « Avant l’incendie le service laissait bien à désirer... Mais enfin, il marchait tant bien que mal. Mais depuis la remise en l’état qui fut particulièrement longue suite à l’incendie de la machinerie, le service est réellement défectueux à tel point qu’au moindre vent un peu fort, c’est un arrêt. » C’était en effet la conséquence de la faiblesse de puissance des moteurs de fortune installés suite à l’incendie du 17 avril 1920. Au lieu de 1,30 minute, le temps de transbordement était passé autour de 2,20 minutes, d’où le mécontentement des usagers.

Publicité - 27 mai 1924 - La gérante dépose une nouvelle demande afin de faire de la publicité lumineuse, cette fois en hauteur sur le tablier du pont, pour les automobiles PEUGEOT. L’autorisation de la préfecture ne fut pas mise en application.

Plaintes - 23 mars 1926 - Les usagers se plaignent des projections d’huiles sur leurs vêtements, provenant des hauteurs du pont. Il s’agit de l’huile servant à lubrifier les organes de transmission.

Expérience scientifique - 15 janvier 1933 - Sur la demande de deux professeurs à l’école Supérieure de Commerce, Messieurs P. B. docteur es-sciences, et F. B. licencié en sciences, il a été procédé à une expérience scientifique destinée à vérifier la loi des espaces de la chute des corps. Elle a consisté à laisser choir un corps lourd du haut du tablier et d’observer sa chute en prenant des clichés à partir de la Criée aux Poissons, afin de les projeter ensuite sur un écran muni d’une règle graduée. L’opération devait ainsi permettre de vérifier par la mesure la loi des espaces. Bien entendu, sur la demande de l’Inspecteur général des Ponts et Chaussées, et du Directeur du Port de Marseille, toutes les précautions de sécurité avaient été prises aux abords du point de chute du poids.

Expérimentation de parachute - 7 octobre 1934 - L’inventeur du système d’ouverture rapide du parachute Jean DUFOUR teste avec succès son invention en précipitant à deux reprises un mannequin du haut de la plate-forme.

Brouillages électriques - 30 juin 1938 - Il est constaté que le fonctionnement du pont transbordeur provoque un brouillage intense dans les communications radio-téléphoniques entre le poste de communication de Marseille et le phare du Planier. Le concessionnaire du pont doit installer un dispositif antiparasite sur ses moteurs.

Lettre du consul de Norvège - 3 octobre 1938 - Il demande à la direction du pont à transbordeur de lui donner des renseignements techniques sur le pont en vue de la construction d’un ouvrage identique en Norvège dans la ville de Sarpsborg.

Suicide - 25 avril 1939 - Un jeune homme seul, paraissant âgé de 20 à 25 ans s’est présenté au guichet Sud où il lui fut délivré un billet d’ascension par l’escalier. Après avoir traversé le tablier sur toute sa longueur, arrivé à hauteur de la table d’orientation du Touring Club de France, il a franchi rapidement le garde corps d’une hauteur de 1,25 mètres de haut et s’est précipité dans le vide sans que personne n’ait eu le temps de lui venir en aide. L’enquête a permis d’identifier Fernand C., fils d’un boulanger du boulevard Gazzino qui paraît s’être jeté intentionnellement du pont à la suite d’un « Désespoir intime quelconque qui lui aura fait perdre la raison. »

Fermeture pour cause de guerre - 29 mai 1940 - Sur la demande du Général JEAMPERT commandant la garnison de Marseille, l’accès du pont a été interdit au public jour et nuit. Les raisons de cette interdiction étaient secrètes, mais il s’agissait sans doute de prévenir toute action de l’ennemi contre le pont lui-même et les 2 forts qui l’encadraient. Dans la mesure où les motifs de cette interdiction n’existaient plus, elle fut levée fin juillet 1940.

Outrage à la gendarmerie - 20 août 1942 - Lettre du Major du port de Marseille adressée « à toutes fins utiles » à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées pour lui signaler qu’un employé de la nacelle Emile C. s’est vu dresser procès verbal pour outrage à la gendarmerie. En effet, il avait osé siffler les gendarmes pour les presser d’embarquer...

Destruction de la partie Nord - 22 août 1944 - Une charge explosive placée par les troupes d’occupation, provoque l’effondrement du pylône Nord, entraînant dans sa chute le tablier.

Rendons hommage aux illustres photographes, poètes, cinéastes et peintres de l’époque, qui, passionnés et fervents admirateurs du pont à transbordeur, l’ont immortalisé. Citons :

Laszlo Moholy-Nagy, qui, fasciné par le pont vint à Marseille en 1929 pour réaliser des photos et le film « Marseille, Vieux Port ». Il qualifiait le pont de « véritable miracle de technique, d’une précision et d’une finesse exceptionnelles ». Siegfried Giedion qui écrivait « Cette construction n’a pas valeur de machine. Elle fait partie du paysage urbain dont elle constitue le couronnement fantastique »

André Suarès, écrivait en 1935 « Haubans de fer, vergues de métal, rets qui pêchent le ciel, le pont transbordeur est une voile et l’homme qui croit y passer, une mouche que guette l’araignée... »

Le pont à transbordeur de Marseille a inspiré de nombreux réalisateurs qui ont tourné et filmé à Marseille. Citons « l’Insaisissable Montenlair » film burlesque marseillais des années 20 dont le sujet est une chasse à l’homme dans les pylônes et l’ascenseur... Ainsi que la célèbre trilogie de Marcel Pagnol tournée dans le quartier du vieux port avec le pont en toile de fond.

Aussi les illustres peintres qui ont su si bien représenter le pont sur leurs toiles:

D’autre part de nombreux éditeurs de cartes postales ont imprimé des milliers de cartes postales du pont vu sous tous ses angles, contribuant ainsi à le faire connaître dans le monde entier.

Enfin voici les paroles de la chanson intitulée « Le Pont Transbordeur » qui a été écrite en 1936 par A. Bossy et R.Guilbert :

« Ah quel bonheur sur le pont transbordeur ou le vent souffle en venant des iles,
Quant il fait chaud on est bien mieux là haut que dans toutes les rues de la ville,
Et puis aussi, on peut le dire entre nous,
C’est un endroit ou les faux tabous,
Peuvent sans peur s’aimer à la hauteur,
Qu’on est bien sur le pont transbordeur. »