Le Pont à Transbordeur de Marseille

Chapitre III - CARACTERISTIQUES TECHNIQUES -

Tout d’abord, voici quelques définitions préalables relevées dans le dictionnaire Larousse :

Un pont est un ouvrage en maçonnerie, en ciment armé, en métal ou en charpente en bois destiné à mettre en communication deux points séparés par un obstacle qui peut être un fossé, les deux bords d’une rivière ou d’une mer ou une vallée. Il doit permettre le passage sans croisement à niveau de deux courants de circulation.

Transbordeur : se dit d’un appareil ou d’une installation qui sert à transporter d’un point à un autre.

Pont à transbordeur : se dit d’une plate-forme ou nacelle suspendue à un tablier élevé, et à bord de laquelle on fait franchir une nappe d’eau dans sa largeur aux voyageurs ou aux marchandises. Il est donc conçu pour faire circuler d’une rive à l’autre, d’un quai à l’autre, piétons, véhicules ou marchandises sans entraver la navigation sur le plan d’eau, d’une façon sûre et rapide, indépendamment des courants. En outre contrairement aux embarcations, il avait l’avantage de ne pas provoquer le mal de mer. Dans le langage courant, les Marseillais disaient pont transbordeur en supprimant la préposition « à ».

Le pont à transbordeur de Marseille était du type « à contrepoids et articulations » invention mise au point par l’ingénieur Ferdinand ARNODIN. Ce qui signifie qu’il était conçu pour résister à l’action non négligeable du vent en ne lui offrant aucune prise, tout en absorbant les mouvements de la nacelle et de sa charge. Il pouvait résister à une pression de vent de 270 Kg/m2. L’ouvrage était composé de deux pylônes verticaux formant portiques, reliés entre eux par un tablier horizontal sous lequel circulait un chariot auquel était suspendu une sorte de plancher formant nacelle, destinée à transporter les personnes et marchandises d’un quai à l’autre au-dessus du plan d’eau.

Toute la superstructure de l’ouvrage était composée d’acier doux.. L’utilisation du même métal avait pour but d’absorber dans les mêmes proportions sa dilatation en fonction des variations de la température extérieure. Les câbles suspendant et reliant l’ensemble des éléments étaient en fil d’acier à torsion alternative du système breveté ARNODIN. Le poids total de l’ouvrage était de 1.400 tonnes.

cotes St nicolas cotes St Jean

Il figurait à la matrice cadastrale des propriétés bâties de la commune de Marseille Saint-Laurent - case 993 et 1204 de la section 5 et 5/10.

Schéma côtes et définitions techniques :

schema technique

Les pylônes :

Deux pylônes verticaux espacés de 165 mètres d’axe à axe s’élevaient à 86,62 mètres au-dessus du niveau des plus basses mers. Entre ces deux pylônes se raccordait, suspendu par des câbles, un tablier horizontal de 165 mètres de long, dont le dessous était à 50,08 mètres au-dessus de la mer permettant ainsi de laisser le passage aux plus hautes mâtures des navires qui fréquentaient le port. Chaque pylône pesait 240 tonnes et comportait 8 étages de poutres agencées de façon à résister au mieux à la poussée des vents et à répartir les efforts dans l’ensemble de l’ouvrage. A l’intérieur de chaque pylône Nord et Sud, se trouvait un escalier de 250 marches qui donnait accès aux visiteurs sur le tablier, où deux passerelles permettaient de circuler d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Ainsi la montée pouvait se faire par le pylône Nord et la descente par celui du Sud, ou inversement. Pour les amateurs de sensations fortes, une étroite plate-forme supérieure sise à 74 mètres au-dessus du niveau de la mer entre les 2 pylônes Nord était accessible par un escalier hélicoïdal dit en « cage d’écureuil ». Au sommet des pylônes se trouvaient les chariots de dilatation recevant l’ensemble des câbles de suspension et de contrepoids assurant l’amortissement de leurs différentes tensions. Leur accès réservé au service entretien, se faisait au moyen d’échelles métalliques.

pylones pylones
escaliers

Montée d’escalier sud, côté fort Saint Nicolas. On peut lire sur le panneau: "cure d’air splendide panorama ascension à 50 mètres"

Le tablier (installé en mars 1905) : Le tablier de 165 mètres de long, conçu lui aussi pour résister aux poussées du vent, était constitué par 2 poutres écartées de 8 mètres d’axe à axe et reliées par un contreventement. Il se prolongeait au-delà des pylônes sur 41,18 mètres du côté Nord où se trouvait la buvette/restaurant et le local de la sécurité, et sur 36,50 mètres du côté sud où se trouvait la salle des machines. Ces 2 parties arrière étaient portées par des câbles obliques. Le tablier était supporté tous les 4 mètres par des câbles fixés aux chariots de dilatation placés à la partie supérieure des pylônes, sauf sur 34,60 mètres au milieu de sa longueur où il était supporté par une travée parabolique qui lui donnait un bel aspect esthétique. Les extrémités du tablier étaient reliées à des massifs de contrepoids par des câbles disposés dans le plan vertical, donc attachés au sol.

tablier bout du tablier

La nacelle :

Sous le tablier se trouvaient des rails sur lesquels se déplaçait un chariot de roulement alimenté par l’électricité fournie par le réseau des tramways de la ville. A ce chariot était suspendue une nacelle par l’intermédiaire de 30 câbles. Celle ci accostait au niveau des estacades (construction sur pilotis s’avançant en mer) qui formaient plate-forme assurant la jonction avec les quais et les voies d’accès, et ce dans le but de permettre le passage des piétons et voitures sans risques. Cette nacelle avait les mêmes dimensions que celle du pont de Nantes soit 10 mètres de longueur sur 12 mètres de largeur, dont 8 mètres de voie charretière, et deux trottoirs de 2 mètres chacun. Elle faisait 120 m2 et pesait 29 tonnes. Elle était équipée de bancs pour les piétons et de bâches pour les abriter les jours de pluie. Le plancher de la nacelle était à la côte + 2,20 mètres. Un wattman, chargé de la conduite de la nacelle, dont le poste de pilotage était surélevé, commandait le mouvement réversible de va-et-vient. Il devait être attentif à ne pas entrer en collision avec des embarcations passant à ce moment là sur les flots. La nacelle était tractée par deux moteurs électriques de 25 CV chacun situés sur le tablier, côté Sud. Le mouvement de transmission était assuré par des câbles de traction spéciaux reliés entre la nacelle et le cadre de roulement la dominant. La charge maximum de la nacelle était de 36 tonnes (portée à 97 tonnes durant les essais). Le nombre de piétons admissibles était de 300 personnes, porté à 200 s’il y avait un véhicule, et 150 s’il y avait plusieurs véhicules. Les départs avaient lieu toutes les 8 minutes dans chaque sens, et la durée de la traversée était de 1.30 minute par temps calme et 2,30 minutes par grand vent. Chaque jour la nacelle assurait plus de 250 traversées (alors que le ferry-boat n’en assurait que 25).

la nacelle

Les Fondations :

Afin d’assurer la stabilité de l’ouvrage, les pylônes reposaient sur quatre embases en pierre de Cassis, maçonnées et enfoncées dans la mer ; donc deux par rives, espacées de 20 mètres chacune.

Pile du pont

Photo sur plaque de verre - Collection particulière -

(A ce jour les restes de ces piliers d’où s’élançaient les pylônes sont visibles sur l’île du Frioul au large de Marseille ou après démontage et transport ils ont été réinstallées et reconvertis en bancs publics.)

embase du Frioul embase du Frioul

Les fondations ont été creusées à l’air comprimé au moyen de caissons ou cloches métalliques à section circulaire qui étaient immergées et surmontées d’un sas d’entrée. Les fondations reposaient sur le terrain résistant à des niveaux compris entre les côtes -9 mètres et -11,75 mètres. Les bases métalliques des pylônes reposaient sur des sabots en fonte articulés et profondément ancrés dans les fondations. Dans le pilier Nord, le travail de forage a été rendu difficile en raison d’émanations souterraines ammoniacales provocant chez les travailleurs des ophtalmies pénibles. On les combattit en répandant sur le sol des solutions de sulfate de fer et en renouvelant plus souvent l’air de la chambre de travail.

plan coupe pilier.jpg

Les massifs de contrepoids :

Ils avaient pour fonction d’assurer la stabilité de l’ouvrage en équilibrant les charges verticales dues au poids du tablier avec les mouvement de la nacelle en charge. Ainsi, ils amortissaient les différents efforts subis par l’ouvrage, y compris l’action du vent. Sur chaque rive, les massifs en maçonnerie étaient enfouis dans le sol et des câbles verticaux de contrepoids et de contreventement fixés aux extrémités du tablier donc 50 mètres au-dessus, venaient s’y fixer. Une galerie de visite permettait de vérifier l’état des massifs.

Le montage des pylônes et du tablier :

Chaque pylône reposait, au moyen d’une rotule en acier de 200 millimètres de diamètre, sur un sabot en fonte, qui était ancré dans les piliers de maçonnerie au moyen de quatre tirants en acier de 4,50 mètres de longueur.

pilier.jpg

Le montage des pylônes Nord et Sud s’est effectué au moyen d’une grue électrique auto-élévatrice mise au point par Ferdinand ARNODIN. Elle était hissée au fur et à mesure sur des poutres de charpente en bois qui servaient d’entretoise et de support pour la grue. Arrivée en haut du pylône, la grue était alors utilisée pour monter tous les câbles de suspension. Chaque pylône pesait 240 tonnes.

montage pylone sud

Pour le montage des parties du tablier en arrière des pylônes, on utilisa des chèvres (structure en bois destinée à élever ou soutenir des fardeaux). Pour le montage des panneaux du tablier en avant des pylônes, et qui formaient sur une longueur de 65,20 mètres les parties en porte-à-faux, on utilisa deux chariots élévateurs courant sur des rails aériens flexibles mis au point par Ferdinand ARNODIN. Enfin on procéda ensuite au montage de la travée centrale (46 tonnes) qui fut amenée par 3 chalands à l’aplomb de la position qu’elle devait occuper, et fut hissée en une seule fois par des palans, du niveau de la mer au niveau du tablier à 50 mètres de hauteur. Il est à noter que ce montage réalisé en 4 heures dans des conditions totales de sécurité, n’a pas nécessité l’arrêt de la navigation.

montage du tablier en porte à faux montage du tablier

Tests de sécurité et autorisations d’exploitation :

Un programme détaillé de tests de sécurité avait été présenté le 20 septembre 1905 par Ferdinand ARNODIN. Il comprenait toutes sortes d’épreuves et contrôles ainsi que des tests de surcharge à placer sur la nacelle. Ces opérations devaient être effectuées aux frais du concessionnaire sous la direction des ingénieurs des Ponts et Chaussées, messieurs Batard-Razeliere, Guyot et Lion qui avaient suivi le chantier en continu. Ces opérations qui durèrent plusieurs jours permirent de vérifier la robustesse et le bon fonctionnement du pont avec une surcharge de 97 tonnes placée sur la nacelle.

Le 22 décembre 1905, donc 3 jours avant l’ouverture au public, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées signait le procès verbal d’épreuves : « avons constaté la sûreté, la facilité et la promptitude des manœuvres d’arrêt, de départ et changement de marche de la nacelle. Et certifions qu’il résulte des observations faites au cours de l’épreuve que sous la surcharge appliquée, à aucun moment et en aucun point le coefficient de travail maximum fixé par l’article 6 du Cahier des Charges n’a été dépassé ».

Le 22 décembre 1905, un arrêté préfectoral constatant la conformité du pont à transbordeur, fixait les règles à respecter pour éviter les collisions entre la nacelle et les navires ou embarcations croisant sa route. En outre, il était précisé que désormais le bassin du Vieux Port ne pouvait recevoir que des navires dont la mâture ne s’élèvera pas à plus de 49,00 mètres de hauteur au-dessus de la flottaison.

La durée de construction de l’ouvrage ne dépassa pas 2 ans. Le pont fut inauguré officiellement le 23 décembre 1905 à 15 heures par Ferdinand ARNODIN et son chef de travaux Virgile BAUDIN (lui aussi originaire de Chateauneuf-sur-Loire). Ils sablèrent le champagne avec les autorités locales : M. Georges MASTIER Préfet des Bouches du Rhône, M. Siméon FLAISSIERES Président du Conseil Général, M. Paul DESBIEF Président de la Chambre de Commerce et M. Amable CHANOT Maire de Marseille. Avec les autres acteurs ayant participé à cette belle réalisation, ils firent plusieurs traversées « agréables et sans secousses » et montèrent sur le tablier.

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La nacelle pavoisée le jour de l’inauguration - Collection Jean-Claude BOUZE

Le lendemain 24 décembre 1905 à 15 heures, le public découvrait le pont et en prenait possession.

L’ascenseur :

C’est le 30 juillet 1907 qu’un arrêté préfectoral autorisa la mise en service de l’ascenseur, après réalisation d’essais et de tests de sécurité. En effet, Ferdinand ARNODIN avait, dès avril 1906 proposé à l’ingénieur des Ponts et Chaussées de compléter l’installation par un ascenseur en ces termes : « Il n’a pas pu vous échapper que le public éprouve grande satisfaction à aller respirer l’air pur et jouir du merveilleux panorama que l’on domine du tablier du transbordeur. Mais pour l’y atteindre, il faut gravir 250 marches par des escaliers plutôt difficiles. D’où la demande d’un ascenseur pour faciliter aux déshérités physiques l’ascension des promenoirs du tablier supérieur - et pour être utilisé par le personnel d’exploitation ». En outre Ferdinand ARNODIN proposait de prendre en charge la totalité du coût de la construction. L’ascenseur était placé au devant de la face Nord du jambage Ouest du pylône côté fort Saint Jean. La cabine qui pouvait contenir 10 personnes, faisait l’ascension en 1 minute sans arrêt intermédiaire. L’ascenseur était doté d’un double dispositif de sécurité qui rendait impossible le départ en cas de surcharge et bloquait la cabine en cas de rupture du câble de traction. En juillet 1940, l’ascenseur tombait en panne. Il ne sera jamais réparé.

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Plan de l’ascenseur dessiné par les Etablissements ARNODIN Archives Départementales des Bouches du Rhône

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Ascenseur sur pilier côté fort Saint Jean - Collection Jean-Claude BOUZE -

Le kiosque :

Le 16 octobre 1908, Monsieur R... obtenait l’autorisation d’utiliser le kiosque déjà construit sur le tablier côté fort Saint Jean contre le local de la sécurité, pour y exploiter un point de vente de souvenirs et une buvette qui fut rapidement transformée en buffet restaurant. Sur 120 mètres carré de surface y compris la terrasse, cet établissement pouvait servir plusieurs dizaines de couverts. Il était renommé pour ses spécialités de bouillabaisse et de langouste à l’américaine, et servait des thés - chocolats - « Afternoon tea » - lunch - Il eut son heure de gloire du temps ou le célèbre chef marseillais Gardanne, officiait, mais il avait déjà perdu sa bonne réputation dans les années 30.

restaurant menu restaurant

La table d’orientation :

Offerte par le Touring-Club-de-France, la table d’orientation était installée sur le tablier à proximité du kiosque.

table orientation Militaire sur le P à T