Le Pont à Transbordeur de Marseille

Chapitre II - Ferdinand ARNODIN et la Concession

Un décret du 8 mars 1902 a déclaré d’utilité publique et concédé à M. Ferdinand ARNODIN la construction et l’exploitation d’un pont à transbordeur pour la traversée du Vieux Port, entre le quai de la Tourette et le boulevard du Pharo au port de Marseille. Une clause prévoyait la possibilité de substituer au concessionnaire une société Anonyme.

Selon les termes du contrat de concession d’une durée de 75 ans, il était convenu que M. ARNODIN devait autofinancer la totalité du coût de construction du pont à transbordeur, en assurer ensuite la maintenance et l’exploitation, et devait enfin restituer les installations en bon état d’entretien à l’Etat le 8 mars 1977. Il convient de noter que Ferdinand ARNODIN était déjà concessionnaire de l’exploitation de deux autres ponts à Nantes et Rouen.

Le coût de construction de l’ouvrage s’était élevé à la somme colossale de 1.500.000 francs/or que Ferdinand ARNODIN comptait récupérer progressivement grâce aux passages sur la nacelle et sur le tablier. L’histoire ne dit pas si l’intrépide M. ARNODIN a eu le temps de récupérer sa mise de départ ?

Ferdinand ARNODIN : Né en 1845 à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) - Décédé en 1924 à l’âge de 79 ans. Chevalier de la Légion d’Honneur, Commandeur de Nichan-Iftikhar, chevalier de l’Ordre d’Isabelle la Catholique, officier de la Légion d’Honneur et titulaire de nombreuses autres décorations de diverses sociétés.

Génial pionnier de la technique des ouvrages métalliques et brillant ingénieur des Arts et Métiers. Il a fait ses débuts professionnels à la Société Générale des Ponts à Péages (ex. Compagnie Seguin) où il occupait les fonctions d’inspecteur des ouvrages.

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Buste de Ferdinand ARNODIN. Collection Didier Leinekugel-Le-Cocq

Fort d’une expérience de quelques années dans les réalisations de ponts modernes, il décide en 1872, à l’âge de 27 ans, de fonder sa propre entreprise de constructions métalliques à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) où il monte les installations d’une usine sur un terrain de 2,5 hectares avec embranchement sur une ligne de chemin de fer.

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Carte de visite de Ferdinand ARNODIN Collection Didier Leinekugel-Le-Cocq.

Il s’entoure d’une équipe d’ingénieurs, de constructeurs, chefs de travaux et ouvriers charpentiers compétents et s’associera en 1900 avec Gaston LEINEKUGEL-LE-COCQ qui deviendra plus tard son gendre et reprendra la gestion de la société à sa mort. En 1880 il invente le câble à torsion alternative se substituant aux câbles à fils parallèles, assurant une plus grande sécurité dans son utilisation, et le fabrique dans son usine. (Il s’agit d’enrouler plusieurs couches de fils alternativement dans un sens et dans l’autre, autour d’un premier fil rectiligne).

câble à torsion alternative

Câble à torsion alternative

Travailleur acharné, il déposera au cours de sa carrière une douzaine de brevets relatifs à la construction de ponts et leurs accessoires en particulier un système de poutre métallique raidissante, une grue électrique pivotante auto-élévatrice et une riveuse portative.

poutre Arnodin

Poutre métallique raidissante

Sa société sera très active jusque dans les années 20 et fut dissoute en 1937. A ce jour les descendants de Ferdinand ARNODIN exploitent toujours une activité de construction de ponts à travers une société dont le siège est à Larche en Corrèze.

En 1893, il installe avec le constructeur De Palacio son premier pont à transbordeur à Bilbao (Espagne). Puis il concevra et construira en 1898 celui de Bizerte (Tunisie), qui sera démonté et remonté dans l’arsenal de BREST en 1908. Puis ceux de Rouen en 1899, Rochefort-Martrou en 1900, Nantes en 1903, enfin celui de Marseille en 1905 suivi par Newport (Angleterre) en 1906 et Bordeaux 1910 qui ne sera jamais achevé. Aujourd’hui le seul témoin qui reste en France est celui de Rochefort-Martrou, admirablement restauré. Il assure encore le passage des touristes à pied ou à vélo. Durant sa carrière, Ferdinand ARNODIN conçut et construisit d’autres ponts, viaducs, passerelles et ponts suspendus à Groslée (Ain), Pertuis (Vaucluse), Saint-Ilpize (Haute Loire), Ancenis (Loire Atlantique), Manosque (Alpes de Haute Provence), Mallemort (Bouches du Rhône) etc... Egalement il prit en charge la remise en état de nombreux ponts à Avignon Bompas Cadenet (Vaucluse), Port Sainte Marie (Lot et Garonne) Chateauneuf et Chatillon sur Loire (Loiret) Maringues (Loire) etc...

Le transbordeur de Marseille était donc sa sixième réalisation et bénéficiait ainsi des meilleurs perfectionnements techniques de construction et de sécurité. Les éléments du pont constituant un gigantesque méccano ont été fabriqués dans l’usine de Châteauneuf-sur-Loire et acheminés à Marseille par voie ferrée, puis par voitures hippomobiles sur le chantier.

Après son décès survenu le 14 avril 1924, les concessions des trois ponts (Nantes, Rouen, Marseille) dont il était bénéficiaire, furent mises en vente par voie d’adjudication car contractuellement elles n’étaient pas transférables à ses héritiers.

Cette adjudication eut lieu le 24 janvier 1928 et c’est Mme Renée ARNODIN-CHIBRAC, belle fille de Ferdinand ARNODIN, qui fut déclarée adjudicataire pour le prix total de 2.447.000 francs représentant les droits à l’exploitation des concessions des ponts de Rouen, Nantes et Marseille. Elle s’était rendue acquéreur pour le compte de ses trois enfants encore mineurs (donc les petits enfants de Ferdinand): Monique née en 1912, Ferdinand Marie né en 1914, et Christophe né en 1916, en sa qualité de représentante légale et tutrice de ses enfants. Renée ARNODIN-CHIBRAC, était veuve de Georges ARNODIN fils de Ferdinand (industriel, chevalier de la Légion d’honneur), mort à la guerre en 1918. C’est un décret paru le 7 mars 1929 qui confirma et autorisa la substitution des trois petits-enfants représentés par leur mère, pour le transfert de la concession du transbordeur de Marseille sur leur tête.

Ensuite sur la demande de Mme Renée ARNODIN-CHIBRAC qui souhaitait séparer les exploitations de chacun des trois ponts dont elle avait la charge, un nouveau décret paru le 20 juin 1933 autorisa la substitution d’une Société Anonyme aux trois mineurs ARNODIN. Cette Société Anonyme qui devait avoir pour raison sociale « Société pour l’Exploitation du Pont à Transbordeur de Marseille » avec siège social à Orléans, devait recevoir sous forme d’apports en nature : la concession, les appareils, accessoires, ouvrages, les pièces de rechange et approvisionnements, les traités, marchés et conventions ainsi que les études plans et devis etc... En fait, malgré les relances du Ministre des Travaux Publics, cette société ne vit jamais le jour, pas plus qu’une Société à Responsabilité Limitée dont le montage avait été envisagé ultérieurement. En effet, en février 1931 Mme ARNODIN-CHIBRAC qui avait une proposition d’achat de la concession de Marseille par M. T., demandait l’autorisation de cession et le changement des associés. Là encore le projet de vente n’eut pas de suites, et lorsque le pont fut détruit en 1944, la structure juridique de l’exploitation était toujours la même qu’en 1905.